Wednesday, February 20, 2008
La France de Mohamed Rouabhi
Mohamed Rouabhi a un sens inné de l’ironie. “Fils d’indigènes” selon sa propre formule, qui a vu le jour dans cette France des Trente glorieuses, construite en grande partie par des milliers d’immigrants qui ont eu droit à peu de splendeurs dans les mines et les baraques surpeuplés, Rouabhi a tout lu, tout entendu et tout enregistré surtout, des comportements politiques et sociaux du « pays des droits de l’homme » envers ceux qui ont eu la maladresse de ne pas y naître Français. « Vive la France ! », la pièce qu’il a écrite et mise en scène avec sa jeune compagnie Les Acharnés, n’exprime pas tant la dérision qu’elle frôle l’absurde dans son savant montage de films documentaires, cinéma, musique de variétés et rap, vidéo clandestin, publicités et discours politiques des cent dernières années en France. Rien ne lui échappe ; tout y passe : Exposition coloniale et tirailleurs sénégalais ; CRS et HLMs ; Annie Cordy et la Marianne, Aimé Césaire et Harry Roselmack, Carrefour et France 3; émeutes et brutalités policières ; Nicolas Sarkozy et Marine Le Pen… L’ironie est à son comble dans des séquences évoquant en les juxtaposant les fantasmes, les idéaux et la réalité de la société française contemporaine : à titre d’exemple, un extrait vidéo filmé en cachette montrant le tabassage d’un jeune par la police, suivi d’une déclaration d’amour aux forces de l’ordre, sur une mélodie pop des années 1970 (« Moi j'aime un galonné / Des Compagnies Républicaines de Sécurité / Et quand je suis entre ses bras rien ne peut m'arriver / Il est doux comme un agneau… »).
Le spectacle, qui prend néanmoins des longueurs pas tout à fait justifiées, fonctionne à la fois comme une machine à remonter le temps de l’Empire colonial, de l’Algérie en Indochine en passant par les Antilles, tout comme il entame une mûre réflexion sur les préjugés, les peurs et les stéréotypes qui définissent encore l’espace et l’identité octroyés par la France à ses citoyens black et beur. Or, pour Rouabhi, qui dit ne s’être jamais intéressé à l’histoire de France enseignée à l’école et qui aurait reçu l’inspiration d’écrire la pièce à l’époque où il habitait le dernier foyer Sonacotra en Ile de France, c’est marqué du sceaux indélébile du mépris – celui qui peut « laisser sans voix » l’objet de son dédain - que la pièce hurle son désarroi et sa colère. D’où l’importance de ce spectacle qui essaie, par une multitude de voix et de voies, de détruire le silence qui pèse encore sur l’époque coloniale et l’immigration en France, parce que « le mépris pour notre histoire, sera toujours un mépris pour nous-mêmes ».
Le projet de Rouabhi dépasse largement une simple esthétique théâtrale pour provoquer un sursaut collectif. Selon l’auteur, dans cette pièce (sa quinzième à ce jour), « il n’est plus question de reconnaissance. Il s’agit de faire appliquer les lois et d’en exiger d’autres. Il s’agit de mettre côte à côte tous les Français et de constater, malgré les apparences, que la seule chose qu’ils ont en commun aujourd’hui, c’est d’être français et qu’être français, ce n’est plus appartenir à une quelconque idée de la France, mais à une réalité : l’héritage de 150 années de colonialisme et d’émigration. »
« Vive la France ! » alors ; sur une entraînante musique rap chantée par quatre « jeunes des banlieues » transformés en loyaux soldats de la Mère-Patrie, la pièce de Rouabhi prend tout son sens : Vive la France à nous tous, celle qui revendique une devise célèbre qu’elle pourrait appliquer à tous ses enfants, irrespectueusement de la couleur de leur peau, si seulement elle se trouvait le fibre moral de le faire.
Jusqu’au 1er mars 2008 , du mardi au samedi à 20h, dimanche à 16h, Théâtre Gérard Philippe, 59 Boulevard Jules Guesde, Saint-Denis (93), Mº Saint-Denis Basilique/RER D Saint-Denis, 10€-20€, info/réservations : 01 48 13 70 00.
Photo credit: Bellamy
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